Skall, Nuées et merveilles
Among the garbage and the flowers
There are heroes in the seaweed
(Leonard Cohen)
Éminemment singulière, l’entreprise artistique de Skall semble attendre qu’on forge pour elle une catégorie stylistique appropriée. S’agissant de saisir le caractère aimable de son évidente préciosité, je proposerais, pour ma part, et à défaut de mieux, le terme de Pop-rococo. En effet, le caractère brillant de tout ce qu’il compose ne dénote aucune arrogance de classe ni de culture. Sa richesse d’apparence et sa fragilité extrêmes n’ont rien à voir avec le luxe ostentatoire des nantis. L’hyper-monde qu’il convoque, et auquel il appartient, n’est en aucun cas celui de la mode et du bon goût. La beauté qu’il vise est souveraine, exempte de tout préjugé esthétique, de tout embrigadement idéologique. Répondant à sa seule intuition sensible, elle ne fait aucune concession aux bonnes mœurs ou à la doxa des genres. C’est la splendeur d’un univers personnel qui s’impose mais que l’artiste s’attache, cependant, à mettre en scène pour la partager, faisant ainsi la démonstration que les merveilles qu’il installe sont à portée de tout regard, que la subtilité d’un équilibre ou la complexité d’un montage, si elles échappent au vulgaire, s’imposent, comme des évidences que l’on peut aisément saisir.
Skall possède plus d’une corde à son arc et plus d’un tour dans son sac. Sculpteur, performeur, vidéaste, installateur, l’ingénieux artiste relève le défi de l’art contemporain par une simple poétique du regard. Avec lui, l’apparence des choses triviales subit une étonnante métamorphose, elle se retourne comme un gant pour donner naissance au monde enchanté dont il signe la configuration bizarre. Dans ce paysage composite, la chasse au trésor peut commencer. Le regardeur voyagera longtemps, de pièce en pièce, de détail en détail. Tout ceci est bien étrange ; et, quelle densité de surprises au centimètre-carré ! La moindre d’entre elles n’est pas cette empathie que nous éprouvons d’emblée devant ces décors de féerie, comme si nous étions nourris de la même nostalgie improbable. Car Skall est un artiste hanté. On pourrait formuler que son imagination est composée de ses souvenirs, à condition d’ajouter aussitôt que ses souvenirs sont aussi la forme de son imagination. Car, si le point originaire de sa créativité se situe dans l’évocation d’une enfance qu’il a passée en Orient et en Afrique, son œuvre trouve sa pertinence dans le contexte d’une actualité qui est bel et bien présente. Certes, fin connaisseur des « arts premiers », Skall détourne à son profit des influences traditionnelles, mais il n’hésite jamais à déplacer, au besoin, la symbolique des formes et la valeur des matières dont il s’empare. Tout est dans tout, et tout est illusion. L’art de Skall est sens dessus-dessous. Pour l’individu plus ou moins borné et aveugle qui passe sa portée, il constitue une illumination fugace, quelque chose comme un satori ludique et profondément démocratique.
Olivier Goetz
Avec le concours de Caroline Smulders - I Love My Job, Skall est représenté par Caroline Smulders à Paris & par Mario Mauroner à Vienne
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